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Amarillo, hongre bien dans ses sabots ... Je vous avais déjà raconté que, comme mon ami l'étalon Trait Poitevin Kazanova des Prairies, je m'intéressais aux juments, bien que je sois, physiquement, beaucoup moins viril que lui. En raison de cette particularité, je suis devenu son souffleur, son boute-en-train attitré. On a décidé de m'attribuer cette fonction importante au printemps dernier. C'était l'époque des premières saillies de l'année. Kazanova préfère parler de sa « tournée d'amour », et je le comprends. Les humains ont beaucoup trop tendance à employer à tort et à travers des termes techniques abominables pour avoir l'air de maîtriser leur sujet. Ils parlent de « saillie », de « monte », mais aussi de « débourrage », de « dressage », « hongrage », « pansage », etc … et je ne vous parle pas du vocabulaire de l' « art équestre ». Nous autres, chevaux, utilisons d'autres termes. Comme tous les mammifères dotés d'un cerveau et capable de sentiments, nous « courtisons » et nous nous « unissons », ou « faisons l'amour ». Les jeunes chevaux vont en « formation professionnelle », au cours de leur vie, ils reçoivent une « éducation ». Les moins chanceux parmi les mâles sont « modifiés », mais on peut aussi employer l'autre terme, lorsque c'est nécessaire, à condition d'y mettre la forme. Enfin, nous aimons les « soins corporels » que nous prodiguent les humains après l'effort. Fermons la parenthèse. Donc, l'an dernier, je suivais Kaza dans sa tournée d'amour. Ensemble, nous humions les effluves printanières. Mon ami honorait de ses attentions Florabelle, une jument de sa race, qui, depuis peu, a eu un magnifique petit poulain bien prometteur. Bien entendu, nous n'étions pas seuls : plusieurs humains surveillaient le bon déroulement des opérations, comme pour toute « monte naturelle » (oh le vilain mot !). Dans l'assistance dévouée, il y avait bien entendu mes maîtres, un jeune stagiaire tout juste sorti de l'école de Montmorillon et aussi un personnage qui me fit perdre toute contenance tant je fus surpris de le voir. Je le reconnus tout de suite, c'était le docteur Berthier, mon ancien vétérinaire, celui-là même que je voyais à la clinique depuis mon plus jeune âge ! Mon bon médecin venait juste de quitter son emploi près de Poitiers et s'était installé à son compte dans une clinique toute neuve de Civray, créée spécialement pour les chevaux. C'était sa première visite à Châteauneuf, et comme je le compris vite, ce ne serait sans doute pas la dernière. Le docteur Berthier est particulièrement cher à mon cœur ; j'ai croisé son chemin à chaque moment important de ma vie. La première fois que j'ai eu affaire à lui, le 23 avril 2010, je ne m'en souviens pas, mais on me l'a dit, c'était le jour de ma naissance. L'accouchement fut rapide et sans complications, il paraît que j'étais pressé de voir le monde extérieur et le visage de ma chère maman, la jolie Unika. Je fus très vite sur mes quatre pieds, un très bon signe pour un galopeur, futur roi des hippodromes. Je l'ai revu ensuite le 18 Mars 2011 pour une vilaine blessure à l'antérieur droit, j'étais un yearling au tempérament difficile, comme disaient mes maîtres. Je m'étais battu un peu violemment contre un de mes cousins pour une histoire de carré d'herbe, et j'avais reçu un vilain coup de sabot. Mon cousin adoré s'en tira avec une sérieuse morsure au cou et cinq points de suture. Le docteur dit à mes maîtres que je me remettrai à condition de ne pas me faire travailler un certain temps, mais que je ne pourrai pas devenir un cheval de course, comme mes frères. Je fus réformé avant d'avoir pu faire mes preuves : finis les rêves de gloire ! J'en ai gardé un temps une blessure secrète, avant de me faire une raison. Après quelques mois, ma jambe fonctionna de nouveau parfaitement, mis à part une légère boîterie qui se résorba vite, mes maîtres eurent la bonté de ne pas m'envoyer à la boucherie. Cependant, tandis que j'étais débourré avec plus ou moins de facilité, en raison de mon fort caractère, ils commencèrent à se demander ce qu'ils allaient bien pouvoir faire de moi. Je fus très vite fixé sur mon sort. Le 6 février 2012, je suis retourné à la clinique pour une « modification » importante : j'étais destiné à devenir un cheval de centre équestre, je ne pouvais rester entier (quel mot abominable!), j'étais, paraît-il, trop dangereux. C'est étrange, je ne me souviens pas avoir été méchant, avant ; peut-être ai-je oublié ? Là encore, mon véto préféré « s'occupa » de moi et inscrivit sur mes papiers mon nouveau statut (Amarillo, sexe : hongre, fait à la clinique des Albizzias, le 6/02 /12, signé Dr Philippe Berthier. Par pitié, Docteur, n'écrivez pas ça, je suis toujours un mâle... non ?) A mon réveil, il me donna une belle pomme et me fit marcher dans le parc en me parlant. Il me complimenta pour ma superbe crinière que l'on avait bien coiffée pour cet événement important ; je ne garde pas un mauvais souvenir de cette journée, car je n'étais pas malade. Je le revis encore lorsque j'étais au club du galop fleuri, en octobre 2013 : cette fois-ci, il m'a sauvé la vie. J'avais contracté une grave maladie, et mon bon médecin me remit sur pieds en quelques jours, dans sa clinique. Il me veilla pendant trois nuits alors que j'étais presque inconscient, en proie à une forte fièvre – une fièvre de cheval, comme disent les humains - et c'est la première personne que je vis lorsque j'émergeai de ma léthargie. Bien entendu, je suivis un régime spécial pour être entièrement rétabli, mais une fois guéri, le docteur Berthier me donna force caresses et friandises. Bien évidemment, j'eus aussi affaire à lui en d'autres occasions, pour des blessures plus ou moins sérieuses et pour une colique assez éprouvante dont je garde un mauvais souvenir. Comme vous pouvez le constater, mon cher véto me connaît très intimement. Il est très gentil, et se préoccupe toujours du bien-être animal. Je n'ai jamais souffert avec lui, ni pendant, ni après ses soins ou interventions. Il sait que je n'aime pas aller à la clinique, aussi, s'arrange-t-il toujours pour m'apporter un peu de réconfort lorsque je dois lui rendre visite. Vous imaginez combien j'étais content de le voir, ce matin-là, à Châteauneuf , alors que je respirais les juments en fleur. J'ai henni de joie, fait le tour du champ au galop puis je me suis approché tout frémissant et piaffant pour mettre ma tête sur son épaule. Le docteur Berthier a semblé ravi de me retrouver en aussi bonne forme, vigoureux et plein d'entrain. Mon véto adoré a toute de suite remarqué ma grande attirance pour les juments, mais il a eu la délicatesse de ne pas me réprimander, ni de me rappeler mes particularités intimes avec moquerie (il sait d'ailleurs très bien que je sais), bien au contraire. Il m'a dit : « hé bien, mon beau garçon, tu peux dire que la nature t'a fait un superbe cadeau, je vois que tu as conservé un beau caractère de mâle dominant ; j'espère que tu en profites bien, cela ne durera peut-être pas toute ta vie. J'ai constaté que tu réagis comme Kazanova en présence des juments, tu as entre autres, un flehmen magnifique, et une très belle virilité... Nous n'allons pas frustrer tes ardeurs amoureuses, ce serait cruel ; bien au contraire, tu vas nous être utile et tu en tireras de grandes satisfactions ». Il s'est ensuite adressé aux autres humains présents. « Ce brave Amarillo est parfait pour devenir le boute en train dont vous me disiez avoir besoin il y a peu. Vous verrez, il vous rendra de grands services d'une façon bien agréable pour lui. » Il a appuyé son propos en me grattant la croupe puis en me donnant deux petites claques amicales sur ma hongritude (mon fourreau, ainsi qu'on l'appelle entre chevaux modifiés), ce qui me réchauffa délicieusement l'arrière-main : j'avais compris le message. C'est ainsi que je suis devenu, sans le vouloir, le conseiller conjugal de Kaza. Je vérifie que les juments sont prêtes à l'accepter, et s'il me prend l'envie de les courtiser plus intensément, pas de risques que je sème mes gènes un peu partout, et c'est tant mieux pour moi, car comme le disent si bien les humains, je crois, où il y a des gènes, il n'y a pas de plaisir. Fabrice Martin Bienvenue à Châteauneuf Je suis arrivé au relais de Châteauneuf le 19 mars 2014, par une après-midi humide de printemps. Il avait plu toute la matinée, les nuages se dissipaient, et malgré le soleil naissant, la terre était encore gorgée d'eau. Le 4x4 tirant mon van a dépassé l'entrée principale du parc, franchi le grand portail et s'est engagé dans le chemin menant aux écuries. Après cinquante mètres d'une allée détrempée et creusée d'ornières (le véhicule a failli s'embourber), j'ai pu découvrir mon nouveau domicile et prendre un repos bien mérité. Soixante kilomètres de voyage en van, même pour un jeune garçon comme moi, c'est fatiguant, vous en conviendrez ! Au fait, je ne me suis pas présenté. Je me nomme Amarillo, et je suis un cheval tout à fait ordinaire (enfin, c'est ce que disaient mes anciens maîtres ). Je suis né dans un petit élevage des environs de Poitiers. J'ai passé les deux premières années de ma vie à brouter et jouer, avec mes frères et cousins, dans les prés du domaine natal. Puis, pour moi, les choses sérieuses commencèrent. J'ai suivi une formation très classique, à savoir castrage (mô non, ça fait pas mal, j'ai juste fait un vilain cauchemar le lendemain) ferrage (impression bizarre au début) débourrage (là aussi, mauvais souvenir : la selle était trop serrée), dressage (marrant, mais lassant sur la fin), et autres noms en age qui font partie de l'apprentissage de la vie, bref, tout pour devenir un bon petit cheval de club équestre. J'ai ensuite été vendu à l'écurie du Galop Fleuri, une petite écurie des environs de Poitiers. Sur mes papiers officiels, était écrit la description suivante, assez peu poétique : Amarillo, cheval hongre, Selle Français, alezan, étoile sur le front, balzanes aux antérieurs gauche et droit, 3 ans, affectation : loisirs, tares : néant. Avouez qu'à première vue, cela en disait peu sur mes qualités intrinsèques et mon caractère. Je suis resté deux ans dans ce centre. Le travail était assez sympathique, surtout des cours d'équitation pour débutants, quelques balades sur les chemins blancs alentours pour les cavaliers confirmés, et une vie confortable. Lorsqu'on est logé dans des stalles spacieuses, pansé régulièrement, et grassement payé en fourrage, avoine et autres friandises, que demander de plus ? Hélàs, toutes les bonnes choses ont une fin. Mes maîtres avaient fait des erreurs de gestion, et le Galop fleuri a dû fermer sans trouver de repreneurs. Je fus alors vendu, ainsi que mes ami(e)s ferrés parmi les plus jeunes, tandis que les plus âgés partirent en retraite chez des particuliers grâce à l'association Equipaix. J'eus un peu d'appréhension lorsque j'appris que j'allais emménager à Châteauneuf. Les plus vieux de mes congénères n'ignoraient pas le nom de l'occupante de ce charmant domaine. Frédérique M., ancienne cavalière spécialiste en saut d'obstacles, était réputée, dans le milieu équin, pour sa grande sévérité ; du moins, c'est ce que certains m'ont dit, rajoutant quelques anecdotes terribles, peut-être pour me faire peur. Une vieille jument avec que j'étais en bon termes, a cru bon de rajouter, un soir, par dessus la cloison de mon boxe « mon gars, tu vas en baver ». Je retournais ces dernières paroles peu engageantes dans ma tête, lors de mon arrivée. Le van s'arrêta donc, devant les écuries en bois toutes neuves. On ouvrit la porte du van, et je pus descendre. Devant moi, une femme, le sourire aux lèvres, vêtue en cavalière des pieds à la tête, me mit une longe et m'emmena dans ma nouvelle demeure. Je compris vite à qui j'avais affaire : c'était ma maîtresse, la terrible humaine dont mes anciens amis avaient tant parlé ; apparemment, j'allais être son cheval attitré. Les jours suivants, on me laissa récupérer de mon voyage ; je pus alors, au gré de mes déplacements dirigés entre l'écurie, le pré et autres lieux, visiter mon nouveau chez-moi. Le relais de Châteauneuf était destiné à accueillir des randonneurs équestres ; une partie des dépendances avait été aménagée en gîte parfaitement aux normes. Les chevaux n'étaient pas en reste, puisque nous disposions d'une trentaine de boxes fort bien équipés et confortables ; les cloisons étaient en bois non traité, les mangeoires toujours pleines, la litière changée régulièrement par les deux palefreniers engagés à temps plein. Il ne manquait plus que l'écran plasma pour que nous puissions visionner nos films préférés (Seabiscuit, l'Etalon Noir, Danse avec lui, Spirit, et autres classiques). Entre les écuries et le gîte, une carrière de dressage enherbée et un rond de longe se partageaient l'espace. Ces derniers équipements ne me réjouissaient guère, car je pressentais que j'allais être le premier à les inaugurer. A Châteauneuf, j'étais à la campagne, et je comptais en profiter un maximum. Je voulais avant tout me balader sur les chemins avec les cavaliers de passage, et non rester dans la carrière à faire des exercices stupides censés m' « assouplir » ou me faire « progresser si raide ou empoté ? Les changements de diagonale, enroulement de hanche, épaule en dedans, voltes, rassemblés et autres figures subtiles, j'en avais soupé ! Il fallait absolument faire comprendre à ma maîtresse que je n'étais pas fait pour tout cela. Outre la randonnée équestre et les gîtes, mes nouveaux maîtres ont monté un petit élevage de Traits Poitevins : un étalon et trois juments. Le beau mâle, Kazanova des Prairies, le bien nommé, est devenu mon meilleur copain, mon confident. Un jour, alors que nous nous reposions sous un arbre au bord de l'étang, je lui ai fait part de mes problèmes relationnels avec ma cavalière. Il m'a alors donné ce conseil judicieux : « Mon jeune ami, m'a-t-il dit, j'ai une certaine expérience de la vie ; crois moi, dans l'existence, il ne faut jamais oublier qui l'on est. Regarde moi : je suis officiellement et dans les faits, un fringant étalon. Lorsqu'on veut me faire travailler, dans la carrière, je fais l'étalon fougueux, je renâcle, je me mets en colère, je suis insupportable. Frédérique pense alors que c'est mon caractère qui s'exprime et elle me laisse tranquille. Tu dois en faire autant : Souviens-toi de ton état-civil et tu comprendras. » J'ai suivi ses conseils : je suis un « hongre selle français... affectation : loisirs ». Si on veut me faire travailler, je deviens ce que je suis extérieurement : un bon gros hongre de club hippique, bien lisse, tranquille, pépère, à qui il ne faut pas trop en demander. Lorsqu'on m'en demande trop, je pique une grosse colère, et là, encore, je suis tout excusé : « Il est un peu instable, se dit ma cavalière émérite, sans doute un déséquilibre hormonal » J'ai la paix pour le reste de la journée, et on me ramène au pré où je retrouve mon copain. Ensemble, nous pouvons discuter des sujets qui nous intéressent, principalement nos conquêtes féminines et nos trucs de séduction (J'ai découvert très tôt après ma formation initiale que la nature m'avait fait un beau cadeau : quelques hormones délocalisées, bref, en d'autres termes, mes fleurs ne sont pas fanées et je peux encore quelquefois croquer la pomme). Finalement, j'ai la belle vie, à Châteauneuf. Grâce à mon stratagème, je ne suis plus affecté qu'à l'accompagnement des randonneurs sur les jolis chemins d'Asnois ; une sorte de retraite anticipée. Avec ma cavalière, nous nous entendons parfaitement, je crois qu'elle m'a compris. Ensemble, nous faisons de longues balades solitaires, sans trop forcer. Le reste du temps, je me prélasse dans mon pré et ne fréquente la carrière que pour me dégourdir un peu les jambes ou brouter l'herbe nouvelle. J'espère que cela durera le plus longtemps possible, peut-être jusqu'à la fin de mes jours. Fabrice Martin Voir aussi : Citations sur les chevaux et Poèmes de chevaux |
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