Coups de coeur

Le menteur…

- Frère Jean entre dans la cellule de Théotime, son abbé, avec toutes les apparences d'un homme accablé. Il s'écroule sur une chaise et se tait.

- " Qu'y a-t-il, frère Jean ?"

- " Père, je suis profondément déçu. Voilà plusieurs jours que je prends soin d'un pauvre qui a demandé l'hospitalité. Je crois avoir tout fait pour lui, matériellement, moralement et spirituellement. Je l'ai surtout beaucoup écouté. Or je viens de surprendre une conversation de ce pauvre avec un autre pauvre où il riait de moi, bien fier qu'il était de m'avoir fait croire beaucoup de mensonges et avaler mille choses inventées ".

Théotime se tait, puis il dit :
- " Frère Jean, est-ce vraiment la première fois que tu t'aperçois que les pauvres, ceux qui vont sans rien sur les chemins, sans maison, sans famille, sans travail, sans argent, sont menteurs ? ".

- " J'ai parfois douté de leurs paroles et de leurs histoires, dit frère Jean, mais pour être trompé comme je viens de l'être, et moqué à ce point, c'est la première fois ",

- " C'est seulement la première fois que tu t'en aperçois, dit Théotime. Bon, crois-tu que ce pauvre dont le fond du cœur et de tout son être est un océan de misère et de solitude, va te raconter son vrai malheur ? Il ne survit qu'en se le cachant à lui-même et en le cachant aux autres. S'il devait le regarder en face, il en mourrait.
Frère Jean, ton pauvre, il valait mieux que toi aussi tu ne sois pas capable de lui révéler trop vite son mensonge, tu l'aurais tué, comme en lui enlevant son manteau et en le jetant dehors dans le froid. Nu ou presque. C'est son mensonge qui le tient debout comme d'autres sourient grâce à un masque ".

Frère Jean semble avoir un peu de peine à passer de sa vertueuse indignation à une compréhension miséricordieuse, mais c'est comme une lumière qui se fait peu à peu dans son esprit. Alors Théotime qui ne tient pas à faire jusqu'au bout l'éloge de la dissimulation, de la duplicité, ajoute :

- " Mais toi, frère Jean, il conviendrait que tu éduques ton oreille à discerner la vérité du mensonge, à détecter la fêlure d'une histoire trop belle ou trop triste, à n'être pas, toi, prisonnier de ta naïveté. Le vrai service que l'on peut rendre à un menteur, c'est de l'écouter sans le croire, tout en priant pour que sa vérité le rejoigne sans lui faire trop mal " …

Henri Bosco (Le Mas Théotime).

Citations sur le mensonge
L'actrice Agnès Soral dit volontiers :
" Un mensonge a toujours les jambes courtes..."